HISTOIRE du STÉRÉOSCOPE
Notre petite Société
fête cette année son Cinquantenaire .... Un demi-siècle d'existence !
C’est déjà beau pour une société très spécialisée.[1]
A cette occasion nous
pensons beaucoup intéresser nombre de nos Collègues du Stéréo-Club Français en
leur offrant une étude détaillée sur les origines de notre art si agréable et
si passionnant.
Comme l'indique son
nom tiré du Grec Stereos : solide et Skopein : examiner ; ce
merveilleux instrument '' Le Stéréoscope '' donne le sentiment du relief au
moyen de deux images planes légèrement dissemblables mais superposées et
transmises au cerveau par la convergence de nos deux yeux.
La première idée de la
vision stéréoscopique, ou binoculaire, est fort ancienne. Elle est indiquée
dans les ouvrages du Savant Géomètre Grec Euclide, contemporain d'Archimède,
qui professait les mathématiques à l'école d'Alexandrie en Égypte vers l’an 280
avant Jésus-Christ.
Euclide dit en effet que si nous croyons voir avec nos deux yeux un objet unique, cela tient à la rapidité extrême avec laquelle nos deux yeux en parcourent toutes les parties, et à la simultanéité d’impression faite ainsi dans non deux yeux par ces deux images pourtant distinctes.
Le célèbre médecin
grec Galien, qui vécut à Rome, sous l’Empereur Marc-Aurèle, c'est-à-dire vers
l'an 170 après Jésus-Christ, rapporte la même hypothèse. Nous disons hypothèse,
car, à cette époque, cette théorie, n'ayant pas été démontrée
expérimentalement, ne pouvait être qu'une conjecture.
Jusqu'au
seizième siècle, aucun écrit ne rappelle la connaissance de ce principe. Il
faut arriver jusqu'en 1584 pour trouver quelques renseignements à ce sujet,
C'est dans un
manuscrit écrit à Milan, que le grand peintre florentin.Léonard de Vinci,
consigna la différence qui existe entre les images d'un même objet vu
simultanément par les deux yeux. Un pas de plus, et la découverte du
Stéréoscope était faite par Léonard de Vinci !
Neuf années plus tard,
en 1593, le physicien italien Jean-Baptiste Porta (l’inventeur de la chambre
obscure), fit des recherches sur le même sujet. Porta a donné un dessin
tellement complet et tellement exact des deux images séparées, telles que les
voit chacun de nos yeux, et de l'image combinée qui vient se former par la
superposition des deux premières, qu'on retrouve dans ce dessin, non seulement
le principe mais encore la construction du Stéréoscope.
M. de Haldat[2],
savant physicien de Nancy qui s'est beaucoup occupé des phénomènes de la
vision, a, le premier, étudié expérimentalement les effets de la vue simultanée
de deux objets, de forme ou de couleurs dissemblables. Mais il ne construisit
aucun instrument propre à mettre ce principe en évidence.
En 1834, un physicien
écossais, Elliot, eut l'idée d’un instrument destiné à faire voir simultanément
deux images dissemblables, produisant la sensation du relief ; mais il
n'exécuta cet instrument que cinq ans après, c’est-à-dire en1839, après la
découverte de M. Wheatstone.
C'est bien en 1838 que
parut le premier stéréoscope. M. Wheatstone soumit
à l’Association britannique pour l'avancement des sciences un mémoire sur la
physiologie de la vision. À l'appui de ses théories, M. Wheatstone soumit à
cette Société savante, un instrument qu'il nommait Stéréoscope, et qui avait pour
but de démontrer que la superposition des deux images planes et dissemblables
qui se forment sur la rétine de chacun de nos yeux, produit la sensation du
relief.
On ne saurait donc
contester à M. Wheatstone l'honneur de l'invention du Stéréoscope.
L'instrument tel qu’il sortit des mains de M. Wheatstone,
était un stéréoscope à réflexion : les deux images (dessins) se formaient
sur deux miroirs plans. Excellent pour démontrer le principe de la
superposition des images, cet appareil était très volumineux ; il était
loin de réunir toutes les qualités qui devaient en faire un instrument à la
partie de tout le monde.
L'inventeur le comprit
lui-même ; aussi chercha-t-il à perfectionner son appareil. Il fit
plusieurs essais pour transformer son stéréoscope à réflection en un
Stéréoscope à réfraction mais il ne put y parvenir.
Cazes a imaginé un
stéréoscope dérivant du précédent où, grâce à l'emploi de 4 miroirs au lieu de
2, il empêche l’inversion qui est obligatoire avec l'appareil de Wheatstone.
Le stéréoscope modifié
par Pigeon[3]
a sur les précédents l'avantage d’être simple, dans lequel un œil regarde une
épreuve stéréoscopique préalablement renversée tandis que l'autre œil voit
directement la seconde épreuve
L'honneur de la
découverte du stéréoscope à réfraction, c’est-à-dire l'instrument qui
est actuellement entre les mains de tout le monde, appartient à un physicien
anglais mort en 1868 chargé d'honneurs et d’années, à Sir David Brewster, à qui
l'on devait déjà l'invention du Kaléidoscope ce précurseur du Cinématographe.
C'est en 1844
que Brewster construisit le premier Stéréoscope réfracteur ; il était à
prismes.
Malgré sa simplicité
de construction et la beauté des effets obtenus ce stéréoscope serait demeuré
confiné dans le domaine de la science pure, sans l’infatigable persévérance de
son inventeur. Après avoir essayé pendant six années de triompher de l'ignorance
et du mauvais vouloir des opticiens et des photographes anglais, qui se
refusaient à fabriquer des vues stéréoscopiques, M. Brewster vint à Paris en
1851. MM. Soleil et Dubosoq, opticiens ainsi que M. l’Abbé Moigno, auxquels il
fit voir l'instrument comprirent tout de suite tout le parti que l'on pouvait
tirer de cet appareil ; et M. Duboscq en fit aussitôt fabriquer plusieurs.
Entre temps un incident particulièrement heureux
contribua beaucoup à donner une certaine vogue au stéréoscope. Un de ces
instruments avait été présenté lors de l'Exposition Universelle de Londres en
1851 à la Reine Victoria, cet instrument frappa ses regards. Elle
s'amusa longtemps du spectacle nouveau.
Quelques jours après,
M. Brewster présenta à la Reine un magnifique modèle de stéréoscope construit à
Paris par M. Duboscq.
La Souveraine
d’Angleterre se montra très heureuse de cet hommage.
L’événement fit
beaucoup de bruit. M. Duboscq reçut d’Angleterre de nombreuses demandes.
L’instrument une fois connu, la vogue ne tarda pas à arriver. Il restait
cependant à faire et à répandre cet instrument en France. C’est à l’Abbé Moigno[4]
que revient le mérite d'avoir fait sur le continent, la fortune scientifique de
l'instrument de Brewster.
M. l’Abbé Moigno
commença par écrire sur le nouvel instrument, une brochure excellente[5]
mais l'important était d’intéresser au stéréoscope les physiciens de
Paris ; et comme en matière scientifique, il faut toujours commencer en
France (on n’a jamais bien su pourquoi), par l’Institut : l’Abbé Moigno
dut s’occuper, avant toute chose, de présenter l'instrument de Brewster aux
membres de la section de physique de l'Académie des Sciences.
Il débuta par Arago,
le secrétaire perpétuel de l'Académie, dont l’autorité était immense et qui
trônait à l'Observatoire.
Arago reçut avec sa
bienveillance ordinaire le savant abbé dans son Olympe astronomique ; mais
Arago avait un défaut grave dans l'espèce ; il y voyait double, ou, si
vous préférez un mot scientifique plus sonore, il était affecté de diplopie. Regarder
au stéréoscope, qui double les objets, avec des yeux affectés de diplopie,
c'est voir quatre objets et par conséquent être complètement inaccessible aux
effets de cet instrument.
Lorsque Arago eut
appliqué, pour la forme, ses yeux au stéréoscope, il le rendit aussitôt, en
disant :
‑ Je ne vois
rien…..
M. l'Abbé Moigno
replaça donc l'instrument sous sa soutane, et alla sonner à la porte d'un autre
membre de l’Institut : Félix Savart, à qui l'acoustique est redevable de
tant de découvertes, mais qui était complètement étranger à l'optique.
Savart avait un œil
entièrement voilé ; il était à peu près borgne. Il consentit, en se
faisant un peu prier à appliquer son bon œil devant l’instrument mais il le
retira bien vite, en s'écriant : " Je n'y vois goutte".
Le bon abbé reprit, en
soupirant, son stéréoscope et sa brochure, et alla porter le tout au Jardin des
Plantes à M. Becquerel. Ce physicien s'est rendu célèbre par ses découvertes
sur l'électricité ; mais il ne s'est jamais occupé d’optique, pour une
assez bonne raison : il était borgne.....
Le bon abbé commençait
à désespérer de sa mission. Cependant comme il avait la ténacité des têtes
bretonnes, il voulut pousser l'entreprise jusqu’au bout. Il monta dans une
voiture, et se fit conduire au Conservatoire des Arts et Métiers, chez M.
Pouillet qui professait alors avec éclat la physique. M. Pouillet quand il
s'agissait de science était toujours enflammé d'un saint zèle, mais M. Pouillet
avait un défaut, il était 1ouche,... Avec des yeux aux axes divergents, il est
impossible de faire coïncider en un même point les doubles images du
stéréoscope. Après de vains efforts, le physicien du Conservatoire fût donc
forcé de déclarer à son tour, qu'il n'y voyait, comme on dit, que du feu.
Il y avait cependant
un membre de la Section de Physique de l’Académie qui n’avait ni diplopie ni
strabisme, et qui, loin d’être borgne ou d’avoir l’œil voilé, y voyait
parfaitement clair de toutes manières ; c’était l'illustre Biot. L'abbé
Moigno alla donc en toute confiance sonner à la porte du Doyen de l’Académie.
Biot, nous venons de le dire, avait d'excellents yeux ; seulement quand on
lui présenta le stéréoscope, il fut subitement, frappé de cécité.
Expliquons-nous :
il fut aveugle volontaire ; en d'autres termes, il refusa de voir....
Ce phénomène d'optique
contrariait-il la théorie classique de l’émission de la lumière, la doctrine de
Newton, dont Biot fut le constant et le brillant défenseur ?
Voilà avec quel
empressement les physiciens de l'Académie, auxquels s'adressa le patron
bénévole de l’invention de Brewster accueillirent cette communication.
Heureusement, il y
avait au Collège de France, à deux pas de l’appartement de Biot, un autre
physicien, membre de l’Académie, qui n’était jamais ni volontairement ni
involontairement aveugle : c'était M. Regnault. Le jeune et déjà célèbre
physicien examina avec 1a p1us grande attention l'appareil de son collègue de
Londres.
Il fut charmé de ses
effets et il l’appuya très chaudement, à partir de ce jour, auprès des savants
de la Capitale. La glace étant ainsi rompue, la fortune commença à sourire a
l'ingénieux instrument. Les Journaux scientifiques et autres parlèrent de ses
remarquables effets, de ses révélations et de ses surprises ; la vogue se
mit de la partie, et nos opticiens commencèrent à fabriquer par milliers des
stéréoscopes à prismes.
Depuis l'année 1852,
époque à laquelle le stéréoscope commença à se répandre, on a modifié de
différentes manières le stéréoscope à prismes, sans rien changer pourtant de
bien essentiel à ses dispositions.
Lors de la découverte
du daguerréotype on fit pour le stéréoscope, des plaques daguerriennes doubles
(Millet)[6]
mais le procédé d'exécution était fort coûteux. Ce ne fut que grâce aux progrès
de la photographie que l'on arriva à exécuter des vues fort belles et à des
prix modérés. C'est un Français, M. Duboscq qui publia le premier une
collection de vues stéréoscopiques.
Quoique Brewster eût
signalé dès 1850 la possibilité de faire des épreuves en couleur sur papier
transparent, ou sur plaque de verre, il n'avait pas eu l’idée d'enlever la
paroi opaque postérieure du stéréoscope et de la remplacer par un verre dépoli.
Ce fut M. Duboscq qui remplaça le premier cette paroi par un verre qui permet
le passage de la lumière.
Puis les constructeurs
français perfectionnèrent encore le stéréoscope[7],
ils ne tardèrent pas à remplacer les prismes par des demi-lentilles, puis par
des lentilles achromatiques que l'on peut au moyen d'un bouton latéral faire
avancer ou reculer afin d'adapter le grossissement à toutes les vues (MM.
Duboscq et Mattey). Mais, Il ne suffisait pas encore de neutraliser la myopie
et la presbytie il fallait et c’était là le plus difficile, remédier au
strabisme convergent ou divergent.
M. Mattey a
heureusement résolu la question en donnant un écartement variable aux oculaires
par l'action d’un deuxième bouton placé tout à coté du premier.
Enfin, de
perfectionnements en perfectionnements, nos constructeurs ont fabriqué des
stéréoscopes à chaîne, puis à classeurs où l'on peut placer une grande quantité
de vues stéréoscopiques sur verre. L'observateur, commodément assis, fait
défiler devant ses yeux émerveillés, toute la série de diapositifs en noir ou
en couleur contenus dans l'intérieur de l'appareil. On fait ainsi un ,beau
voyage dans un fauteuil à travers les sites les plus variés et les plus
agréables.[8]
1er MAI
1953
Paul AUVEL
REFERENCES
MONCKHOVEN traité général de photographie 5e
édit.1866
GANOT traité
de physique 1894,
A. LONDE traité
élémentaire de photographie 1890,
FIGUIER Description
des inventions modernes 1869,
Abbé MOIGNO Le Stéréoscope 1852,
P. PIZON Journal
de Photographie, 5
Sept.1952 (Pizon)
V. FOUQUE La
vérité sur l’invention de la photographie 1867,
L. CAZES Stéréoscopie
de précision 1895.
[1] Mr LIHOU, fondateur en 1903.
[2] 1770 ‑ 1852
[3]Pigeon "Etude sur le Stéréoscope, Septembre 1906. (Additif de M.Petitjean du S.C.F.)
[4] Moigno François, Napoléon, Marie, né à Guéméné (Morbihan) en 1804, prof.de Mathématiques, fonda le "Cosmos" en 1852.
[5] Le Stéréoscope, ses effets merveilleux, par l’Abbé.Moigno, broch.in - 8 avec planches - Paris 1852.
[6] P.Pizon , - Journal "Le Photographe", 5 Sept.1952.
[7] Stéréoscope corollaire de Gaumont.
[8] Les Etablissements Jules RICHARD (créateurs du ''Vérascope''), viennent de sortir une "visionneuse" Ortho-stéréoscopique en matière moulée à courtes focales avec éclairage électrique INCORPORÉ C'est vraiment actuellement le summum des petits stéréoscopes portatifs.